Article de Thierry Charpentier Le Télégramme du 4 avril 2023
Cardiologue jugé pour viol : « Je me sentais sale, je me lavais à la javel », témoigne la victime
À Vannes, ce mardi matin, au deuxième jour du procès de Daniel M’Bey, cardiologue Pontivyen accusé de viol et agressions sexuelles, la cour d’assises du Morbihan a entendu la jeune femme à l’origine de la première plainte. Sa vie a été dévastée.
« Prévoir une heure pour le rendez-vous. Bilan sanguin ». C’est le SMS envoyé par Daniel M’Bey, le 27 octobre 2018, à Michèle (*). Désormais cardiologue libéral, l’accusé n’exerce plus que deux demi-journées par semaine au sein du centre hospitalier de Centre-Bretagne, à Noyal-Pontivy. Il avait dit à sa mère : « Il faudra que je la revoie, pour des examens plus poussés ».
« Il dit en rigolant : C’est moi qui ai fait ça… »
Ce jour-là, la jeune femme, alors âgée de 21 ans, se présente donc au cabinet du cardiologue, à Pontivy. Il est 17 h 02. À la barre, ce mardi matin, Michèle raconte : « Il m’avait dit qu’il me voyait seule, pour ne pas avoir la pression des autres patients. Je me disais, il se passe quelque chose, c’est peut-être grave… ». Ils entrent dans le cabinet. Il a dit : il fait froid, on va mettre le chauffage ». Michèle passe dans la pièce où est installé le plateau médical. « J’ai enlevé mon haut, je me suis allongée. Il est arrivé. Il m’a piqué. Il m’a fait un peu mal. Après c’est compliqué, c’est flou ». Ce qui la réveille, c’est un bruit de ceinture. « Une ceinture noire. Je m’en souviendrai toute ma vie. Je lui dis : « Vous faites quoi, là ? ». Il me dit : Je t’aime bien Michèle. Après, c’est foutu pour moi. Je le vois sur moi… Il était sur moi, je le sens. Après, il m’essuie. Il dit en rigolant : C’est moi qui ai fait ça… ».
« J’ai une photo de toi dans mon téléphone »
Elle parvient à remettre son haut. « J’ai voulu remettre la jambe gauche de mon pantalon. Je n’arrivais pas à me relever. Il m’a aidée. Je me suis assise. Puis il a mis les images de l’échographie. Il prenait tout son temps pour me les expliquer… J’étais calme. Je savais que ce n’était pas normal mais je restais concentrée pour pouvoir partir. J’avais très froid au pied gauche. Je me suis rendu compte que je n’avais plus ma chaussure. J’ai réussi à me mettre debout. Je suis allée m’asseoir à son bureau ». Une ampoule est posée. « C’est ça que j’ai eu, j’en suis sûre. Je ne sais pas pourquoi, j’ai eu le réflexe de noter le nom du médicament ». Elle écrit « Midazolam » (un sédatif hypnotique, NDLR) dans son portable. « Il m’a demandé si j’avais une prise en charge à 100 % et il m’a dit : « De toute façon, je ne t’aurais pas fait payer. Quand je partais, il m’a dit : « J’ai une photo de toi dans mon téléphone ». T’as un WhatsApp peut-être ? ». La jeune femme dit non et s’en va.
« Le médecin, c’est un malade »
Il est 18 h 24. « Je me dis : Oh la vache, je suis restée longtemps ». Elle avait prévu de rendre visite à une amie hospitalisée, à Saint-Brieuc. Elle l’appelle avant de prendre la route : « J’arrive. Par contre, le médecin, c’est un malade ». Elle reste étourdie. À son arrivée sur Saint-Brieuc, elle heurte la voiture d’une dame, dans un rond-point. Elle fait un constat, arrive dans la chambre de son amie, qui la trouve anormalement calme. « Ma copine me dit : T’es bizarre. Attends, on va demander à l’infirmière de te faire une prise de sang ». Une aide-soignante arrive et les informe qu’elle n’est pas habilitée à pratiquer cet acte. Elle trouve néanmoins « étrange que le médecin se soit servi de ce médicament (le Midazolam, NDLR) pour un examen cardiologique ».
« Tu ne veux pas nous dire qui est ce médecin ? »
Michèle appelle sa mère, qui lui dit : « Tu ne te douches pas. On se retrouve à l’hôpital de Pontivy ». La jeune femme arrive au centre hospitalier de Noyal-Pontivy. « J’ai raconté, sans donner le nom du médecin, car je ne savais pas s’il était là. Les infirmiers m’ont dit : On te fait d’abord la prise de sang, car ce médicament disparaît vite » (des traces de Midazolam seront bien décelées, NDLR). Tandis qu’ils opèrent, ils la questionnent : « Tu ne veux pas nous dire qui est ce médecin ? On en a eu un, ici, qui avait un comportement inapproprié, et qu’on a écarté ». Michèle refuse. Le personnel médical lui livre néanmoins une description physique du praticien. Ça correspond. Les gendarmes arrivent sur place vers 1 h 15 du matin. La procédure judiciaire démarre. Au moment des faits, Michèle est sûre d’avoir été pénétrée. Sincère, elle dira ensuite que la sensation s’est un peu estompée. « Au début, j’étais sûre. Après, je me disais que ce n’était pas possible qu’on m’ait fait ça. »
« Ça me dégoûte »
Les mois suivants, Michèle ne sort plus de chez elle. En janvier 2019, elle est hospitalisée en psychiatrie pendant un trimestre. Syndrome post-traumatique, conclura l’expert. « J’avais des idées suicidaires, je voulais partir… J’étais comme en prison. Je ne faisais plus confiance à personne. Je n’étais plus moi-même, je me sentais sale, je me lavais à la javel. Aujourd’hui, j’ai un petit garçon. Il faut que je sois forte pour lui. ».
Elle a un conjoint. « C’était mon premier petit copain. Quand j’étais à l’hôpital, il est venu me voir. Depuis, il ne m’a jamais laissée. Il travaillait à Marseille. Il est revenu. Il est là pour moi ». La présidente la questionne sur sa sexualité. « C’est compliqué », élude la jeune femme. Claire Le Bonnois rebondit : « Qu’est-ce que ça vous a fait quand vous avez entendu l’accusé dire que vous auriez été consentante ? ». Michèle : « Ça me dégoûte ».